Petites villes, grands romans

Chapô

Comment de “petites” villes ont inspiré de grandes œuvres ?

La littérature française trouve souvent son inspiration loin des grandes métropoles. Derrière les façades tranquilles des petites villes, se cachent des mondes entiers : drames intimes, éveils littéraires, souvenirs d’enfance ou quêtes d’émancipation. Ces territoires du quotidien, parfois anonymes, deviennent sous la plume des écrivains de véritables lieux de fiction, à la fois familiers et universels.
De Ry à Yvetot en passant par Illiers-Combray, ces villes et leurs terroirs sont au cœur de quelques-unes des plus grandes pages de la littérature française.

La Place, Annie Ernaux, (Gallimard, 1983)

Dans l’œuvre d’Annie Ernaux, la ville d’Yvetot, nommée de façon explicite ou implicite « Y… », demeure le point focal de son enfance, que ce soit dans ses romans ou ses récits à caractère autobiographiques. La Place appartient à la deuxième catégorie : il s’ouvre sur la mort de son père puis déroule le fil de la vie de cet homme d’origine modeste qui s’installa, en 1945, dans la ville d’Y…, avec sa femme et leur fille de 5 ans, Annie. Ils reprennent un café-épicerie situé à quelques encablures du centre-ville qui porte les stigmates des bombardements encore récents. L’autrice y vivra jusqu’à ses 18 ans et cette ville de Normandie habitera une grande partie de son œuvre.

La Place, Annie Ernaux

Madame Bovary, Gustave Flaubert (Michel Lévy Frères, 1857)

Flaubert situe l’intrigue de Madame Bovary dans une petite ville inventée nommée Yonville-l’Abbaye et dans laquelle Emma Bovary s’ennuie à mourir. L’écrivain se serait inspiré de la ville normande de Ry, petite commune de Seine-Maritime sans histoire située à deux heures de Paris. Dans son roman, il relate l’histoire de cette jeune femme, qui, bercée par ses lectures, rêve d’une autre vie, loin de l’ennui dans lequel elle s’est enfermée avec son mari.

Il paraîtrait même que Flaubert se soit inspiré d’un fait divers local relatant le suicide d’une jeune Ryaise de 27 ans…

« Cependant, Yonville-l’Abbaye est demeuré stationnaire, malgré ses débouchés nouveaux. Au lieu d’améliorer les cultures, on s’y obstine encore aux herbages, quelque dépréciés qu’ils soient, et le bourg paresseux, s’écartant de la plaine, a continué naturellement à s’agrandir vers la rivière. On l’aperçoit de loin, tout couché en long sur la rive, comme un gardeur de vaches qui fait la sieste au bord de l’eau. »

Madame Bovary, Gustave Flaubert

À la recherche du temps perdu, Marcel Proust (Grasset, 1913 - 1927)

De ses 6 à ses 10 ans, le petit Marcel passa ses vacances à Illiers, commune d’Eure-et-Loir où résidait sa tante Léonie et où se dessina son univers culturel et affectif. Bien que largement inspirée de la ville d’Illiers, Combray n’en reste pas moins une ville imaginaire qui donne son nom au titre de la première partie de Du côté de chez Swann, premier volume d’À la recherche du temps perdu, dans laquelle l’auteur pose les bases d’une enfance souvent inquiète.

Aujourd’hui, la bâtisse et le jardin de tante Léonie sont classés au titre des monuments historiques et la petite ville bucolique a pris le nom d’Illiers-Combray en hommage à l’auteur qui l’a rendue célèbre.

« À Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand-mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. »

Maison d'enfance de Marcel Proust à Illiers-Combray