Littérature des marges : banlieues, friches, zones
Quand la littérature se déplace dans les périphéries, les quartiers en retrait
Des banlieues aux friches urbaines, la littérature explore parfois les zones en retrait. Ces espaces en marge deviennent le miroir d’une société en mutation et le théâtre de nouvelles voix romanesques.
Les Misérables de Victor Hugo (Pagnerre, 1862)
C’est au cours de son exil, suite au coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte, que Victor Hugo commence l’écriture des Misérables. Dans cette fresque en cinq tomes, l’homme de lettres prend la défense des gens du peuple qui souffrent, écrasés par de mauvaises conditions de vie. La figure de Gavroche incarne la débrouillardise mais aussi l’innocence nécessaire pour survivre dans le Paris misérable du XXe siècle. Il connaît le moindre recoin de la ville, trouve mille astuces pour survivre sans jamais se plaindre. Paris est devenue son terrain de jeu et à travers lui, Jean Valjean et les autres, Hugo dépeint le quotidien des laissés pour compte errant dans une ville en pleine mutation, à l’image de sa population.
« Cet enfant ne se sentait jamais si bien que dans la rue. Le pavé lui était moins dur que le cœur de sa mère. »

L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante (Gallimard, 2011)
Dans le tome 1 de sa saga à succès, Elena Ferrante chronique le quotidien de deux amies, Lila et Elena, issues d'un quartier pauvre de Naples au début des années 1950. À travers les mots de l’autrice, c’est tout un monde de violence et de rudesse que le lecteur découvre. Au sortir de la guerre et du fascisme, l’Italie est en pleine expansion économique, mais les horizons des deux jeunes filles sont contraints par leurs origines sociales et le quartier dont elles viennent. Alors que Lila abandonne l’école pour travailler, Elena va au collège, puis au lycée, se confrontant du même coup à l’incompréhension de ses parents. Le roman relate l’éloignement des deux amies, avec pour toile de fond, la ville de Naples tout à la fois sombre et en ébullition.
« Il y avait une part d’insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que cela devienne supportable. L’essentiel, toutefois, c’était de savoir jouer, et elle et moi – personne d’autre – nous savions le faire. »

Kiffe kiffe demain de Faïza Guène (Hachette littérature, 2004)
Après le départ de son père, Doria, quinze ans, se retrouve seule avec sa mère analphabète et femme de ménage dans un hôtel bas de gamme de Bagnolet. Sous couvert d’humour, et à travers les pérégrinations adolescentes de Doria, le roman traite du quotidien en banlieue et de l’intégration de la communauté maghrébine. L’intrigue prend place à Livry-Gargan et voit défiler des personnages qui représentent chacun une facette du quotidien de Doria dans la cité. Son ami Hamoudi, un grand de la cité, les assistantes sociales, Mme Burlaud, sa psychologue ou encore Aziz, l'épicier du Sidi Mohamed Market…
« Ma mère s'imaginait que la France, c'était comme dans les films en noir et blanc des années soixante. Ceux avec l'acteur beau gosse qui raconte toujours un tas de trucs mythos à sa meuf, une cigarette au coin du bec. Avec sa cousine Bouchra, elles avaient réussi à capter les chaînes françaises grâce à une antenne expérimentale fabriquée avec une couscoussière en inox. Alors quand elle est arrivée avec mon père à Livry-Gargan en février 1984, elle a cru qu'ils avaient pris le mauvais bateau et qu'ils s'étaient trompés de pays. Elle m'a dit que la première chose qu'elle avait faite en arrivant dans ce minuscule F2, c'était de vomir. Je me demande si c'étaient les effets du mal de mer ou un présage de son avenir dans ce bled. »
