Renouer avec ses racines : romans d’ancrage dans le terroir
Les quatre titres qui suivent abordent, avec nostalgie ou tendresse, le lien ténu qui nous ramène, qu’on le veuille ou non, à la terre natale, celle de l’enfance, berceau de nos souvenirs. Les écrivains y explorent l’héritage rural, la mémoire familiale et le lien entre identité et territoire.
Les Sources de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel, 2023)
Dans son dernier roman, la lauréate du Prix Renaudot 2020 entraîne le lecteur au cœur du Cantal, dans la vallée de la Santoire, sa terre natale. À la fin des années 60, dans une campagne, qu’elle connaît parfaitement pour y avoir grandi, et où « il faut faire semblant devant les gens », l’autrice raconte le quotidien d’une famille installée dans une ferme loin de tout et rythmé par les accès de violence du père. Le récit s’articule en trois sections et autant d’époques : 1967, 1974 et 2021. Chacune laisse tour à tour place au point de vue d’un personnage, la mère d’abord, puis le père et, pour finir, la cadette dont le retour à la ferme offre un épilogue aussi bref qu’étonnamment doux-amer. Si l’écriture de Marie-Hélène Lafon laisse entrevoir les sentiments des personnages, elle n’en dévoile jamais la profondeur, maintenant ainsi leur opacité, comme un mystère que l’on ne parvient jamais à élucider tout à fait.
« Dans trois semaines, le 30 juin, elle aura trente ans. Trente ans, trois enfants, Isabelle, Claire et Gilles, deux filles et un garçon, sept, cinq et quatre ans, une ferme, une belle ferme, trente-trois hectares, une grande maison, vingt-sept vaches, un tracteur, un vacher, un commis, une bonne, une voiture, le permis de conduire. Heureusement elle a le permis de conduire ; sa mère a eu raison d’insister pour qu’elle le passe. »
Les Ronces de Cécile Coulon (Le Castor Astral, 2018)
Cécile Coulon a l’Auvergne chevillée au corps et revendique avoir « besoin de cet espace et de ce temps » que lui offre la vie clermontoise pour écrire. Dans Les Ronces, elle puise dans son territoire volcanique la matière de ses souvenirs d’enfance et de ses émotions premières. À travers de longs poèmes narratifs convoquant les souvenirs d’enfance et célébrant les montagnes du Massif central, Cécile Coulon affirme son attachement profond à sa région, véritable source d’inspiration et d’élan poétique.
« Je n’ai jamais été autant chez moi. Rester plus de quatre jours d’affilée chez soi, quel repos. On aura tous vécu la même année, les mêmes choses, au même moment, mais totalement différemment. À Saint-Saturnin, d’où je viens, le couvre-feu n’existe pas. Et dans le centre de Paris où je suis tout de suite, les gens sont fous. »
Extrait d’une interview de l’autrice dans La Montagne
Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018)
Dans Leurs enfants après eux, lauréat du Prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu dresse le portrait d’Anthony, un adolescent en proie aux tourments de son âge et au peu d’échappatoires que lui offre son quotidien. L’auteur ancre son récit dans le Grand Est de la fin des années 90, une région industrielle marquée par le déclin et la désillusion, qu’il connaît intimement pour y avoir grandi. À travers l’ennui adolescent, le chômage, la hiérarchie sociale ou encore le racisme, Mathieu peint la réalité d’un territoire oublié, miroir d’une génération en quête de sens et de liberté.
« Ici, la vie était une affaire de trajets. On allait au bahut, chez ses potes, en ville, à la plage, fumer un pet' derrière la piscine, retrouver quelqu'un dans le petit parc. On rentrait, on repartait, pareil pour les adultes, le boulot, les courses, la nounou, la révision chez Midas, le ciné. Chaque désir induisait une distance, chaque plaisir nécessitait du carburant. À force, on en venait à penser comme une carte routière. Les souvenirs étaient forcément géographiques. »
Vies minuscules de Pierre Michon (Gallimard, 1996)
Dans Vies minuscules, Pierre Michon rend hommage à la terre de son enfance, celle des villages et des existences modestes de la Creuse. À travers huit récits consacrés à des figures anonymes, l’écrivain explore la grandeur enfouie de vies ordinaires. Son écriture puise dans le paysage rural sa force et sa mélancolie. En relatant ces destins effacés, Michon célèbre la mémoire d’un territoire et la puissance poétique de ses origines, faisant de la campagne limousine le berceau d’une humanité universelle.
« Un autre jour paraît. Il faut encore faucher, par exemple, le pré du Clerc, qui n'est qu'une pente, une combe de brouillard dans le souffle noir des sapinières, vers le col de Lalléger ; on y entend une seule faux : des grives débusquées trouent la brume, des injures brusques sortent de terre, à peine suspendue la faux invisible retombe. »

