Le corps dans les contes

Chapô

Le conte s’inscrit dans une tradition de transmission orale. Dans certains d’entre eux, le corps comme élément de désir, de violence, de pouvoir, de transformation… est prépondérant.

Le corps dans les contes
Texte

La Barbe bleue

Conte rendu populaire par Charles Perrault à la fin du XVIIe siècle, La Barbe bleue relate l’histoire d’un homme dont les épouses disparaissent tour à tour mystérieusement. Alors qu’une énième jeune femme accepte de l’épouser, le mariage vire au cauchemar le jour où, alors qu’il s’absente et lui interdit d’ouvrir une pièce du château, elle enfreint la règle et découvre les corps pendus de ses précédentes épouses.

Pour Elisabeth Lemirre, autrice et spécialiste des contes, « l'interprétation […] qui est la plus admise est celle de l’initiation sexuelle des femmes. Il semble bien que la chambre interdite, dans laquelle on ne peut rentrer, c’est le corps de la femme, le corps de la femme que seul le mari qui en a la clé peut ouvrir. À l'époque, les femmes devaient leur initiation au seul mari. » *. Pourtant, par la transgression des règles établies par son mari, la jeune femme prend son destin en main et s’affranchit de l’autorité maritale.

 

La Belle et la Bête

Bien qu’il soit apparu pour la première fois en France sous la plume de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, en 1740, La Belle et la Bête ne connut véritablement la célébrité que lorsqu'il fut abrégé et repris par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont dans son manuel d'éducation Le Magasin des enfants en 1756. Dans ce conte, les protagonistes principaux sont au départ réduits à leur seule apparence physique : il y a la Belle et la Bête.

« En voyant approcher la Bête, qu'elle ne put envisager sans frémir en elle-même, la Belle avança d'un pas ferme, et d'un air modeste salua fort respectueusement la Bête. Cette démarche plut au monstre. […] il lui dit : Bonsoir, la Belle. » **

Prisonnière de la Bête, la Belle, au départ terrifiée par l’apparence de son gardien, finit par baisser sa garde. Dès lors, elle réalise que les apparences sont ici trompeuses et que l’aspect monstrueux de la Bête ne fait pas nécessairement de lui un monstre. Le corps est ici une enveloppe de laquelle il faut se détacher pour parvenir à percevoir la réalité de l’être.

« Vous m'apprîtes à démêler les apparences qui déguisent toutes choses. Je sus que l'image trompe, et nos sens et nos cœurs. » **

 

Peau d’âne

Rendu célèbre par Charles Perrault, Peau d’Âne est une histoire d’inceste évité de peu. Sur son lit de mort, la reine fait promettre à son mari de n’épouser qu’une femme plus belle qu’elle. Après avoir cherché dans l’ensemble du royaume, le roi réalise que seule sa fille rivalise de beauté avec la défunte reine et la demande donc en mariage. Désespérée, la princesse, aidée de sa marraine la fée, tente de dissuader son père en posant des conditions a priori impossibles à satisfaire. Pourtant, son père accède à chacune de ses faveurs sans broncher, même lorsqu’elle lui demande la peau de l’âne magique qu’il aime tant. Elle prend donc la fuite, cachée sous cette fameuse peau d’âne qui deviendra son identité.

Inceste vient du latin incesto qui signifie souillure ; or, tout au long de sa fuite, la princesse sera tour à tour appelée « Peau d’âne » ou « la souillon ». La peau de l'âne symbolise donc ici un crime, une souillure, que la princesse arbore tout au long de sa quête. Elle la quittera seulement lorsqu'elle découvrira une autre forme d'amour.

 

La Petite Sirène

Dans les profondeurs marines vivent le roi de la Mer et ses six filles sirènes. Le jour de ses quinze ans, la benjamine est autorisée, comme le veut la tradition, à monter à la surface de l’eau pour observer de plus près le monde des humains. Fascinée, elle tombe immédiatement amoureuse d’un prince. Pour le séduire, elle accepte de renoncer à sa queue de sirène et de perdre l’usage de sa voix…

Parue en 2022 chez Albin Michel, La Petite Sirène illustrée par Benjamin Lacombe propose une nouvelle lecture du conte le plus connu d’Andersen et présente des lettres issues de sa correspondance, dont certaines jamais traduites en français. Benjamin Lacombe et Jean-Baptiste Coursaud (qui signe la traduction et la préface) nous donnent ici à lire « une histoire d’amour empêché, de corps contraint, de transformation et d’ambiguïté des genres » car, pour pouvoir être aimée du prince, la petite sirène doit devenir une femme humaine et donc renoncer à ce qu'elle est vraiment.

 

* Elsa Mourgues, « Barbe Bleue : le féminicide dans la culture populaire », France culture, 6 avril 2021.

** Madame de Villeneuve, La Belle et la Bête, Gallimard, coll. « Folio », 2010.