La littérature en mouvement(s)

Chapô

Qu’ils soient coureurs, adeptes du football, cavaliers, danseurs… ou simples observateurs, bon nombre d’écrivains se sont intéressés à la pratique sportive tant les vertus qu’elle requiert ont d’évidentes qualités littéraires. Le dépassement de soi, le goût de l’effort, la recherche de performance et la grâce sont autant de thématiques inspirantes sur lesquelles se sont penchés les auteurs : cet article fait un rapide tour de piste de la littérature sportive.

La littérature en mouvement(s)
Texte

Petit Éloge du running de Cécile Coulon (Éditions Les Pérégrines, 2021)

Cécile Coulon est née dans une famille de coureurs. Elle tombe donc dans le bain dès son plus jeune âge. Aujourd’hui, elle court une quarantaine de kilomètres par semaine, par besoin pour son corps autant que pour son esprit : « J'écris en courant. L'histoire se construit pendant que les jambes bougent. »

Dans ce petit essai découpé selon les étapes d'une course, l’écrivaine aborde notamment le dépassement de soi, « il faut aimer souffrir pour aimer courir » et la théorie « des trois corps du coureur » qui fait écho à notre sujet. Le principe ? Selon l’auteure, la conscience de ces trois corps se développe à mesure que s’installent fatigue et souffrance physique. Le premier, c’est le corps du quotidien, le deuxième, le corps sportif qui apparaît dans l'effort et le troisième « c'est le moment où notre organisme n'a plus d'énergie […]. On ne devrait plus pouvoir avancer - c'est ce qu'on appelle "le mur" dans le marathon. Et pourtant, on continue. Qu'est-ce qui fait que sans énergie, on est capable d'aller au-delà de nous-mêmes ? » *

 

La Petite Communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon (Actes Sud, 2014)

Avec La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon dessine avec justesse le destin émouvant de la gymnaste roumaine Nadia Comăneci qui, à 14 ans, marqua l’histoire du sport. Lors des Jeux olympiques de Montréal, elle monta en effet sur cinq des six podiums de sa discipline et reçut aux barres asymétriques la note parfaite de 10, jamais donnée jusqu’alors à ce niveau de compétition.

Quoique largement romancé, ce récit met en lumière avec justesse et poésie les mouvements du corps de la gymnaste lors des compétitions : « Elle jette la pesanteur par-dessus son épaule, son corps frêle se fait de la place dans l’atmosphère pour s’y lover…Nadia C. se lance en arrière et, les bras en croix, donne un coup de pied à la lune ». Outre sa grâce aérienne, l’auteure aborde également la ténacité des jeunes gymnastes professionnelles, poussées dans leurs retranchements par des entraineurs parfois sans scrupule : « Nadia, elle, […] suit ce que ce corps lui dicte, ce corps capable d’inscrire le feu dans l’air, une Jeanne d’Arc magnésique. Elle grignote l’impossible, le range de côté pour laisser la place à la suite, toujours la suite. » ou encore « Elles souffrent de points de côté, leurs muscles tétanisés les font tituber d’une acrobatie à l’autre, des ivrognes haletantes. Toute la journée il commande : refais. Recommence. Les poignets des petites filles cèdent sous leur poids. ».

 

Autoportrait de l'auteur en coureur de fond d’Haruki Murakami (Belfond, 2009)

Célèbre écrivain japonais, on doit à Haruki Murakami divers romans, nouvelles et autres essais. Parmi ces derniers, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond nous intéresse tout particulièrement, tant il s’ancre dans la thématique de la 8e édition des Nuits de la lecture. Dans cet ouvrage, il analyse et interroge son rapport au corps via le prisme de la pratique de la course à pied que l’écrivain joggeur pratique quotidiennement. En janvier 2014, lors d’un entretien accordé à l’hebdomadaire allemand Die Zeit, il déclara en ce sens :

« Je ne fais pas […] du sport parce que c'est sain. En réalité, c'est davantage un mécanisme métaphysique. Je veux pouvoir échapper au corps. […] Mais ça ne marche que si j'en ai pleine possession. Le corps doit être un temple. Une structure stable dont je puisse me libérer. » **

Il termine son essai sur ces mots : « Un jour, si je possède une tombe et que je suis libre de choisir ce qui sera gravé dessus, voilà ce que j’aimerais y lire : "Écrivain (et coureur) au moins jusqu’au bout il n’aura pas marché." »

 

Courir de Jean Echenoz (Éditions de Minuit, 2008)

Jean Echenoz ne court pas, loin s’en faut. Alors pourquoi a-t-il consacré quelque 140 pages à Emil Zatopek, au départ ouvrier tchèque mis à la course sur ordre de la Wehrmacht qui vient d'annexer son pays et n’a de cesse de marteler que le sport fortifie la race ? Certainement pas pour les chiffres, qui l’intéressent assez peu. Loin de le dépeindre comme un surhomme, il s'attache surtout à montrer le goût et le sens de l'effort de celui que l'on surnomma la "locomotive tchèque". « Il aime le prosaïsme de l'effort, la douleur réelle, les grimaces, le dédain du beau style et "cette allure bizarre et fatiguée, montée sur des gestes roidis d'automate", le "perpétuel dodelinement de la tête et le moulin permanent (des) bras". En fait, ce qu'il aime par-dessus tout, c'est la légèreté et la grâce, la foulée et l'envol, associés, comme la carpe et le lapin, au corps pesant, souffrant. » ***

 

* Amandine Schmitt, « On est passé de la "course à pied" au "running" pour des raisons marketing », BibliObs, jeudi 17 mai 2018.

** Ronald Düker, « Besuch beim japanischen Schriftsteller Haruki Murakami : “Es gibt nicht nur eine Realität” »,  Die Zeit, n°3/2014, jeudi 16 janvier 2014.

*** Patrick Kéchichian, « "Courir", de Jean Echenoz : une course jubilatoire », Le Mondes des livres, 9 octobre 2008.