Sorcellerie et féminisme dans la littérature

Chapô

Depuis la nuit des temps, la figure de la sorcière est présente dans la littérature. Elles ont été les personnages emblématiques des contes pour enfants et autres textes mythologiques, puis ont, peu à peu, infusé les livres destinés aux adultes. Cette apparition nouvelle coïncide avec une évolution de la représentation de la sorcière et les échos qu’elle trouve dans notre société contemporaine.

La chasse aux sorcières, et leur exclusion, sont des représentations classiques de la littérature. On pense notamment à Circé, exilée sur l’île d’Ééa dans l’Odyssée d’Homère. Mais aussi aux nombreux exemples de femmes qui apparaissent au Moyen Âge, dépeintes comme des entités maléfiques et dangereuses, notamment dans l’ouvrage inquisiteur de 1487 d’Heinrich Kramer et Jacob Sprenger, le Malleus Maleficarum (Le Marteau des sorcières, éditions Jérôme Millon).

Comme l’explique Isabelle Sorrente dans Le Complexe de la Sorcière (2020, JC Lattès), cette chasse et cette exclusion de la société trouvent des résonances dans la littérature féminine contemporaine. Selon l’écrivaine, le soupçon permanent de la sorcellerie qui a pesé sur la gent féminine durant des siècles a laissé des traces. Dans son roman, Isabelle Sorrente fait le parallèle entre la condition des – présumées – sorcières d’antan et celle des femmes d’aujourd’hui. Pour elle, ces soi-disant hérétiques étaient persécutées, poussées aux aveux et condamnées lors de procès fumeux, car leur savoir – entendez leur puissance – effrayait l’inquisition, et plus largement les hommes. L’auteure considère que cet assujettissement des femmes est toujours d’actualité. La vision qu’elles ont d’elles-mêmes est biaisée et manipulée par des hommes qui cherchent à en faire des êtres soumis, par crainte que leur puissance ne se réveille et ne déclenche une révolution.

La question de l’influence des sorcières sur les femmes contemporaines est également étudiée par Mona Chollet dans son essai best-seller Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2019, Zones). L’auteure y développe trois exemples. Trois échos directs à la représentation ancestrale des sorcières, qui, selon elle, continuent de déroger aux dogmes de nos sociétés modernes.

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La femme indépendante : les veuves et les célibataires étaient particulièrement visées lors des chasses aux sorcières. Elles sont encore aujourd’hui, sous couvert de pression sociale, invitées à rentrer dans le rang, se marier et fonder une famille. Une femme célibataire passé un certain âge est, la plupart du temps, considérée comme une bizarrerie et suscite la méfiance et l’incompréhension. Ce sentiment est à rapprocher de l'image de la sorcière séductrice et sensuelle parfois mise en scène dans la littérature.

La femme sans enfant : l’époque des chasses est marquée par une intolérance féroce envers celles qui prétendaient contrôler leur fécondité. Ce rejet persiste aujourd’hui : une femme sans enfant est souvent perçue comme une femme incomplète et il est difficile de comprendre ou d’accepter le non-désir d’enfant assumé.

La femme âgée : elles étaient déjà, du temps des chasses, un objet d’horreur. Aujourd’hui encore, il est pour beaucoup difficile de valoriser la vieillesse féminine. On ne compte plus les crèmes anti-âge proposées aux femmes pour masquer leur vieillissement, l’un des grands tabous de notre société moderne. Dans la littérature, la sorcière vieille, laide et mal fagotée est un grand classique.

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La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations : elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie.

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Ces résonances littéraires entre la condition des sorcières et celles des femmes modernes sont étayées et troublantes. Elles poussent de nos jours les femmes à revendiquer leur part de sorcières. En effet, tout comme les femmes, la figure de la sorcière s’émancipe depuis plusieurs années pour devenir un symbole féministe fort, la sorcière représentant ainsi non plus — forcément — la femme mauvaise mais la femme émancipée du patriarcat et d’attentes sociétales malheureusement toujours en vogue.