Les enquêtes journalistiques, un type de littérature non fictionnelle à succès ?

Chapô

Pour le spécialiste des littératures de genre Norbert Spehner*, les personnages terrifiants qui ont actuellement le vent en poupe sont « les monstres à visage humain ». Ces criminels qui font la une nous fascinent à un point tel qu’ils deviennent, sous la plume d’auteurs de renom, des personnages de roman. Les titres qui suivent sont ainsi inspirés de faits divers qui ont, en leur temps, fait les gros titres de tous les journaux d'actualité.

Texte

De sang-froid de Truman Capote (1966, Gallimard - traduit de l’anglais par Raymond Girard)

Le meurtre de sang-froid et sans mobile d’une famille de fermiers intrigue Truman Capote au point qu’il se rend à Holcomb (Kansas) pour mener l’enquête. Son voyage l’amène à rencontrer les policiers en charge de l’affaire et les deux assassins. Cette enquête de terrain minutieuse classe son roman parmi les meilleurs du genre. De sang-froid reste, à ce jour, un classique de la littérature.

 

L'Adversaire d'Emmanuel Carrère (2020, éditions P.O.L)

Ce livre consacré à l’Affaire Romand a marqué en France un tournant de la littérature vers le genre dit de la « non-fiction ». Emmanuel Carrère découvre ce fait divers dans un journal en janvier 1993. Il est aussitôt intrigué par ce crime – Jean-Claude Romand a assassiné de sang-froid sa femme, leurs deux enfants ainsi que ses parents –,  perpétré par un homme a priori normal et sans histoire. Il prend alors contact avec le criminel, lui expliquant qu’il a pour projet d’écrire son histoire. Jean-Claude Romand lui répond qu'il consent à ce projet. L’Adversaire naît sept ans plus tard.

Texte

Ce n'est évidemment pas moi qui vais dire "je" pour votre compte, mais alors il me reste, à propos de vous, à dire "je" pour moi-même. À dire, en mon nom propre et sans me réfugier derrière un témoin plus ou moins imaginaire ou un patchwork d'informations se voulant objectives, ce qui dans votre histoire me parle et résonne dans la mienne.

3096 jours de Natascha Kampusch (2010, éditions JC. Lattès - traduit de l’allemand par Olivier Mannoni et Leïla Pellissier)

C’est ici sa propre histoire que l’autrichienne Natascha Kampusch raconte. En 1998, alors qu’elle a dix ans, elle est enlevée par Wolfgang Přiklopil qui la séquestre, huit années durant. Le 23 août 2006, la jeune fille parvient à s’échapper. Quatre ans plus tard, aidée de deux journalistes, elle revient sur son histoire dans un livre coup de poing intitulé 3096 jours. Elle y relate son calvaire dans le but, déclare-t-elle alors, de reprendre le contrôle sur sa propre histoire.

 

La Petite Femelle de Philippe Jaenada (2015, Julliard)

L’auteur revient ici sur un fait divers qui a défrayé la chronique en 1953. Pauline Dubuisson, jeune femme jugée pour le meurtre de son ex-petit ami Félix Bailly, a fait l’objet, lors de son procès, d’un traitement sans précédent, la France entière réclamant la tête de cette femme présentée comme un monstre de duplicité. Telle une enquête policière, La Petite Femelle retrace la quête obsessionnelle que Philippe Jaenada a menée pour rendre justice à Pauline Dubuisson en éclairant sa personnalité d'un nouveau jour.

La Petite Femelle
Texte

L’Inconnu de la poste de Florence Aubenas (2021, éditions de L’Olivier)

Dans ce livre-enquête**, la journaliste questionne un à un les détails de l’enquête sur le meurtre de Catherine Burgod, postière du petit village de Montréal-La-Cluse assassinée de 28 coups de couteau le 19 décembre 2008. Le récit de Florence Aubenas, pour lequel elle a passé sept années à explorer toutes les pistes et les recoins de l’affaire, est bien ficelé et se dévore comme un roman.

 

À lire aussi : Claustria de Régis Jauffey (2012 éd. du Seuil), Laëtitia ou la fin des hommes d’Ivan Jablonka [RR1] (2016 éd. du Seuil), Tu n'auras pas peur de Michel Moatti (2017 éd. Hervé Chopin) et bien d’autres.

 

* Norbert Spehner est un spécialiste franco-canadien des littératures de genre, notamment de la science-fiction et du fantastique, du roman policier et du western.

** L'Inconnu de la poste a été traduit en plusieurs langues. Deux de ces traductions ont bénéficié du soutien du Centre national du livre (traduit en espagnol par Agustina Blanco // publié en 2017 chez Libros del Zorzal, Argentine et en danois par François-Eric Grodin // publié en 2019 chez Forlaget Etcetera).